Réflexions sur la gestion de portefeuille par Charles Gave

  • Jérôme Lefesvre
  • Aug 18, 2016

Depuis longtemps, trop longtemps pensent certains, je pratique ce métier passionnant qui consiste à essayer de comprendre ce qui se passe dans les économies ou les nouvelles technologies, à me pencher sur des valorisations qui bougent sans arrêt, pour arriver en fin de parcours à un portefeuille dans lequel j’essaie de résumer tout les efforts intellectuels effectués en amont.


Voila un travail qui nécessite depuis toujours la collecte et le traitement en continu d’informations diverses et variées mais il a cependant beaucoup évolué au fil des dernières années…



Il y a quarante ans, quand j’ai commencé par hasard dans ce métier, la difficulté était de trouver les informations.


Aujourd’hui, elles sont toutes disponibles instantanément sur Bloomberg ou sur Reuters et ce qui est difficile, c’est de faire le tri entre
ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Il faut donc aujourd’hui
avoir une espèce de tamis intellectuel au travers duquel il faut faire
tout passer. Et je ne peux pas mettre toutes ces informations dans un
ordinateur et lui laisser le privilège de prendre les décisions à ma
place. L’ordinateur est un idiot qui calcule à la vitesse de la lumière,
et c’est tout…


En définitive, la gestion de portefeuille tient
donc beaucoup plus de l’artisanat que de l’industrie. On ne peut faire
que dans le «sur mesure», jamais dans la «confection». Et comme dans
tout bon artisanat, il existe des « tours de main » que les
compagnons-les anciens- essaient de passer à ceux qui ont moins d’expérience. C’est ce que je vais essayer de faire dans les lignes qui suivent, passer mes «tours de main».


L’un
de ceux ci, et peut être le plus important, consiste à essayer de
séparer la réflexion qui doit précéder la mise en portefeuille d’un actif
de celle qui doit avoir lieu une fois que cet actif est détenu pour s’en séparerPremière
phase de la réflexion donc, ce que dois faire rentrer. Et des que cet
actif est rentré, il faut que je commence à me demander sans arrêt
pourquoi il est là et si je ne devrais pas le remplacer par un autre…   


Très
curieusement par exemple, je sais que j’achète très bien, même si
parfois j’achète un peu trop tôt et que je vends plutôt mal, sans doute
parce que je passe beaucoup plus de temps à réfléchir à ce qu’il faut
acheter plutôt qu’à ce qu’il faut vendre ou quand il faut le vendre.
C’est tellement vrai que dans l’une de  mes sociétés, j’avais chargé
l’un de mes associés de la «vente», me contentant de la fonction
«achat». C’était une bonne idée, mais les résultats ont été décevants.
Il ne peut pas y avoir deux conducteurs dans une voiture.


Du coup,
j’ai décidé de mettre sur papier au bénéfice des lecteurs, un certain
nombre de règles qui m’aident à considérer avec attention ce qui ne va
pas dans mon portefeuille existant plutôt que de continuer à me faire
plaisir intellectuellement en continuant à faire des grandes théories
sur l’évolution à venir de l’Univers, sans trop regarder en arrière pour
contempler le résultat mes décisions passées  (le péché mignon de tout intellectuel, voir les ODS)….


Voici donc un petit résumé de ces règles



  • Les
    valeurs que vous avez dans votre portefeuille ne savent pas que vous vivez une grande histoire
    d’amour avec elles. Imaginons
    par exemple que vous vous soyez pris d’une passion coupable pour l’or.
    Il ne sait pas que vous l’aimez et ne sera pas vexé si vous lui faites une
    infidélité en le vendant pour
    acheter autre chose. Pas d’attachement sentimental, pas de fierté mal placée, de la modestie, encore
    de la modestie,toujours de la modestie…
  • Il
    n’y a pas de pessimiste riche, restez toujours optimiste. Comme le disait Bernanos «Le pessimiste est un idiot triste, l’optimiste un

    idiot heureux.» Soyez heureux. Chaque crise est une occasion nouvelle de s’enrichir ou d’apprendreEn chinois crise et opportunité sont représentés par le même idéogramme. 
  • Il
    n’y a PAS de placement miracle qui monterait jusqu’à la fin des temps. Tout placement  atteint
    un jour un niveau où il faut le vendre. Par contre ce n’est pas parce qu’un placement a beaucoup baissé qu’il faut l’acheter.
  • Si vous ne comprenez pas, ne jouez pas (c’est un peu le cas à
    l’heure actuelle, en tout cas en ce qui me concerne. Je ne vois pas du
    tout pourquoi je devrais avoir le moindre investissement dans la zone
    Euro
    ). Je me souviens par exemple de la folie sur les valeurs de
    technologieà la fin des années 90. Pendant l’été 1999, j’ai tout vendu ne comprenant plus rien aux
    valorisations (J’étais trop vieux pour
    comprendre, me disait-on).Dans les mois qui suivirent ces valeurs entrèrent dans

    une bulle d’anthologie et firent plus que doubler. Je me sentais complètement idiot-et très, très
    vieux. Deux ou trois ans après, ça allait beaucoup mieux.
  • Vous
    gérez un bilan et non un compte d’exploitation. Beaucoup de gens quand ils gèrent un
    portefeuille vendent ce qui est monté (prennent des profits disent ils) et gardent avec soin ce qui a baissé. Ce qui veut dire qu’ils
    vendent leurs bonnes décisions et conservent toutes leurs
    mauvaises. Au bout de quelque temps, il ne
    restera plus que des saloperies invendables dans leur portefeuille. En fait, il faut faire exactement le
    contraire. Vendre ce qui a baissé et garder ce qui a monté.
    Imaginez que les valeurs que vous avez
    dans vos actifs soient des employés.
    Vendre cequi est monté, c’est virer les bons employés pour ne
    garder que les mauvais. Le résultat final d’une telle stratégie est certain: la faillite est garantie.
  • Si
    vous réussissez à éviter toutes les grandes baisses et à  participer
    à deux grandes hausses sur trois, vous aurez des résultats
    mirifiques sur n’importe quelle période de 5 ans ou plus. Ce qui veut dire que

    vous devez être un investisseur et non un trader. Ce n’est pas parce quela bourse est ouverte tous les
    jours qu’il faut passer un ou plusieurs ordres tous les jours…
  • Ce
    qui m’amène au point suivant: Imaginons que vous achetiez une valeur à 100, en espérant qu’elle va aller à 150, sa « vraie »valeur d’après vos calculs ou ceux d’un analyste en qui vous avez confiance. Patatras, son cours tombe assez rapidement à 90. La solution est
    simple: vendez
    ! Ce qui tue la performance d’un portefeuille, c’est la valeur qui baisse de 50 % ou plus.
    Pour éviter ce désastre la seule solution est de
    vendre tout ce qui baisse de façon inexplicable à vos yeux et de fixer dans votre esprit une limite au delà de laquelle vous prendrez votre perte,quoiqu’il en soit.
  • Ne
    faites JAMAIS de moyennes en baisse. Le cours auquel une valeur est rentrée dans votre
    portefeuille est une valeur comptable et
    non économique. La seule valeur à prendre en compte c’est le
    cours aujourd’hui (voir le point précédent).
  • Ne
    gérez JAMAIS en fonction d’objectifs fiscaux. Beaucoup de gens autour de moi se sont ruinés pour
    ne pas payer d’impôts. Si l’Etat
    accorde un avantage fiscal à un investissement, cela ne peut être que
    parce que la rentabilité du capital dans cet investissement est insuffisante, ce
    que l’Etat veut
    compenser par un traitement favorable pour vous forcer à faire
    des investissements que vous ne feriez pas sans cet avantage. Quand
    on connait la capacité de l’Etat à
    sélectionner les bons investissements, la réaction normale doit être de s’enfuir en courant et non pas
    de se précipiter.
  • Dans
    le même ordre d’idées, n’achetez jamais un investissement dont la rentabilité dépend de
    subventions étatiques (ou d’une
    réglementation nouvelle incitative). Par exemple, je connais nombres
    de gens qui ont été littéralement ruinés après avoir investi dans les panneaux
    solaires en Espagne.
    Lorsque les subventions cessèrent faute de rentrées fiscales, ces investissements perdirent 90 % de leur
    valeur en très, très peu de temps.
  • N’achetez
     jamais sur un « tuyau » que vous aurez donné la petite amie ou le fils du Président de la
    Société. Ou bien vous vous
    retrouverez en prison, ou bien quelqu’un cherche à vous manipuler ou
    encore cherche à vous faire croire qu’il est dans le secret des Dieux alors que
    ce n’est pas le cas.
  • Si vous avez une position dans votre portefeuille qui vous empêche de dormir (ça m’est arrivé) ou qui vous réveille à
    quatre heures du
    matin, ou si vous commencez à avoir mal au dos (plein le dos…), vendez. Vous n’êtes
    plus en état de réfléchir sainement.
  • Il n’y a jamais un seul cafard dans une cuisine. Imaginons
    qu’une société annonce qu’elle a découvert qu’un employé indélicat a
    perpétré quelques indélicatesses… Vendez aussi vite que vous le
    pouvez. D’autres cafards vont sortir des que la lumière sera éteinte.
  • N’empruntez jamais pour acheter. On ne s’enrichit pas avec l’argent des autres.


 


J’ai essayé de distiller en ces quelques lignes ce qu’une longue et douloureuse expérience m’a appris.


Faites
en bon usage car comme je l’écrivais la semaine passée, la période à
venir promet d’être houleuse. Non seulement je ne comprends pas ce que
nos élites veulent faire, mais j’ai l’impression très nette que ces 
mêmes élites n’ont pas la moindre idée des résultats a attendre de leurs
expériences.


Que je ne comprenne pas m’inquiète passablement. 


Qu’elles ne comprennent rien me trouble cependant beaucoup plus.


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